Livres poussiéreux d’un autre temps, les lectures fantastiques ne s’adressent qu’à des zozos idéalistes, vivant dans un « autre monde » – des enfants, en somme. Et puis, on ne peut pas dire que l’Imaginaire soit le fleuron de la littérature – peu importe son origine. A la rigueur, Tolkien… Bon. A la rigueur.
Tout cela, vous l’entendrez un jour ou l’autre, si vous vous promenez dans quelque club de lecture. Régulièrement utilisé par l’élite (auto-proclamée) de la critique littéraire, cet argumentaire est symptomatique d’une méconnaissance affirmée du genre de l’Imaginaire.
Alors, allons voir ce qui se trouve dans un de ces « vieux » livres, pour adolescents, empli de magie et autres fantaisies : les Contes de Terremer d’Ursula K. Le Guin.
Après avoir essuyé plusieurs échecs auprès d’éditeurs, Ursula K. Le Guin vit de nouvelles et de poésies publiées dans des magazines et finalement, d’un premier roman de science-fiction. C’est sur la suggestion d’un confrère qu’Ursula K. Le Guin écrit le premier volet des Contes de Terremer. Elle a alors 39 ans et le Sorcier de Terremer deviendra son œuvre la plus connue mondialement.
Nous sommes en 1968 et Ursula K. Le Guin s’interroge quant à la littérature ambiante. La fantasy et la science-fiction ne parlent que d’hommes – des hommes musclés, des hommes qui dirigent, des hommes qui partent à l’aventure, des hommes qui colonisent. Les femmes ne sont présentes que pour être blondes et bien fournies, les personnes racisées font office de sauvages à éduquer et tout est question de pouvoir. Autant dire qu’Ursula ne réussit pas à s’identifier – et donc à rêver – dans ce genre qu’elle affectionne.
Alors, Ursula K. Le Guin écrit pour voir les choses changer.
“Le silence seul permet le verbe
Et les ténèbres la lumière,
Comme de la mort jaillit la vie.
Étincelant est le vol du faucon
Dans le désert des cieux.”
Les Contes de Terremer racontent l’histoire de Ged, un jeune chevrier sur l’ile de Gont, parmi les archipels de Terremer. Ged est un petit garçon aventureux, curieux et fier. Mais Ged est aussi en possession de pouvoirs magiques, dans un monde où les sorciers et les mages sont monnaie courante. Il fait la connaissance du mage Ogion, qui lui fournit un début d’éducation. Puis, il rejoint l’école de magie, sur l’île de Roke, où il fait ses classes. Seulement, Ged est jeune et impétueux et lors d’un duel avec un camarade, il libère une Ombre sur le monde. Il doit désormais réparer sa faute et débute alors l’histoire de sa vie.
Lorsque des proches me demandent par quel livre débuter l’Imaginaire, c’est celui-ci que je recommande, à chaque fois.
Je le recommande parce qu’il est important : Ursula K. Le Guin pose les fondements de la fantasy moderne à venir. Le pouvoir de nommer les choses, école de magie, apprentissage dans l’aventure, la magie demande un prix… Ça vous rappelle certains titres ? Et bien voilà, une bonne partie vient d’ici.
C’est aussi une œuvre importante, car Ursula K. Le Guin présente pour la première fois un héros noir dans la littérature fantasy. Sachant que les lois ségrégatives viennent à peine d’être prohibées, autant dire que ça en a secoué plus d’un ! (D’ailleurs, Ursula se battit toute sa vie pour que les couvertures du livre ne représentent pas un homme blanc. De son vivant, seule une édition respecta son souhait.)
La deuxième raison pour laquelle je recommande cette œuvre, c’est qu’elle est belle. Vraiment très belle.
Ursula K. Le Guin maîtrise à la perfection son écriture – et non, je n’exagère pas. Dans les Contes de Terremer, elle démontre toute la force de sa compréhension des mécanismes de l’écriture.
De la métrique poétique, une alternance des rythmes court / long, la répétition de termes à impact, le placement de ces dits termes, le travail de la prose typique du conte… Ursula K. Le Guin n’est pas en reste et il n’y a pas de secret : ça marche à merveille. Imaginez un couteau affûté avec application durant des heures.
“He knew now, and the knowledge was hard, that his task had never been to undo what he had done, but to finish what he had begun.”
Il sut alors, et le savoir était dur, que sa tâche n’avait jamais été de défaire ce qu’il avait fait, mais de terminer ce qu’il avait commencé.
Les Contes de Terremer sont aussi beaux dans la forme, que dans le fond. Si l’on suit un futur mage en devenir, Ursula K. Le Guin ne fonde pas son œuvre sur la sorcellerie et ses usages, mais sur l’Humain. Aux côtés de Ged, nous apprenons l’importance de la connaissance face à l’ignorance et la brutalité. On nous parle des idées que l’on se fait du pouvoir, et de sa réelle responsabilité. Les mots, leur force, leur impact, et toute leur profondeur. Ursula K. Le Guin nous démontre qu’un chemin d’apprentissage n’est pas solitaire, qu’il est construit au fil des rencontres, et de l’importance de ne pas se couper du monde. Et surtout, elle explore les pièges que l’on se tend, les tombeaux que l’on se creuse, et toute l’ampleur de l’âme humaine – dans sa douceur comme sa noirceur.
Enveloppez tout ça dans un joli papier couvert d’un monde entier à parcourir, de dragons, de sorts, de labyrinthe, et vous obtenez… Un chef-d’œuvre de la littérature fantaisie.
“Sous ses pieds, il sentait les racines s’enfoncer toujours plus profondément dans les ténèbres, et au-dessus de sa tête il voyait briller les feux stériles et lointains des étoiles. Entre les deux, toute chose était à ses ordres, prête à obéir. Il se tenait au centre du monde.”
Alors, la littérature Fantasy regorge de sortilèges et d’éléments surnaturels. C’est bien là-même le fondement de son existence. En revanche, elle ne se limite pas à cette seule variable et il existe autant de catégories fantaisies que de types de lecteur·ices. Et surtout, rêveries ne signifient pas auteur·ices dénués de talent et de travail. Je terminerai donc par la dédicace d’Ursula K. Le Guin, faite lors de la réception du National Book Award – prix le plus prestigieux des Etats-Unis – pour l’entièreté de son œuvre, en 2014.
« Je me réjouis de recevoir ce prix, et je le partage avec ces écrivains qui ont été exclus de la littérature pendant si longtemps, mes camarades auteurs de fantasy et de science-fiction, les écrivains de l’imaginaire qui au cours des cinquante dernières années ont regardé les grands prix décernés aux soi-disant ‘réalistes’ »
La bise les ami·es, et bon dimanche.

Très bon choix pour une entrée en matière que cette œuvre déterminante qui résonne encore dans la SFFF actuelle.
Good job Madame ! 😘
Merci beaucoup ma chère Mary – autant pour ton soutien du lancement du blog, que pour ta lecture et ton commentaire. Je trouve aussi qu’il est toujours bon de débuter par la grande Ursula héhé. Je t’embrasse !
Je confirme, commencer par ce livre là fantasy est une merveilleuse idée.
Comment est la vf par rapport à la vo, est ce que l’on perd bcp ?
Merci beaucoup Sik4, c’est adorable !
Personnellement, lorsque les livres sont anglo-saxons, je les lis quasi exclusivement en langue originale. Et n’ayant pas de tome FR sous la main, je ne sais pas qui s’est occupé de la traduction de cette saga. Peut-être même y en a t’il eu plusieurs, au fil des années ? Cependant, au gré de mes recherches de citations en FR (pour que ce soit plus inclusif ici), je les ai trouvées jolies et tout à fait dans le ton de la version originale.
Je n’attendais que cet article pour me remettre à cette fresque splendide que j’avais commencé en audiobook (emprunté, et dont le prêt s’était terminé avant que je l’eusse fini)
Merci et bravo ! J’y cours j’y vole (dans balai volant nonobstant)
Coucou Lionaucurry, merci beaucoup pour ce gentil commentaire ! Pas de balai volant ici, mais peut-être un dragon avec lequel se faire ami/e ? Je veux bien un retour concernant les audiobook alors, je serais curieuse de savoir le rendu narratif 🙂 Quoiqu’il arrive, une Ursula lue, un bonheur absolu – parole de chroniqueuse.
A très vite !