Il y a quelques jours de cela, lors de l’anniversaire de mon autrice préférée, j’expliquais sur les réseaux sociaux que je ne parlerai pas de mon œuvre favorite sur ce blog. Trop sensible à mon cœur, trop proche de mon âme, je ne saurais vous expliquer de manière constructive tout l’intérêt de cette grande saga de la littérature Fantasy. (En revanche, je peux vous tenir la jambe une heure et plus sur le sujet, à grands renforts de phrases à moitié terminées et d’injonctions à la lecture, sous peine de se voir répudié·e à tout jamais de mon cercle d’ami·es. Hum.)
Cependant, le travail de cette autrice ne se résume pas seulement à ladite saga et après une visite auprès de Le Guin et Jemisin, il est temps pour moi de clôturer la ronde de mes autrices préférées. Aujourd’hui, je vous parlerai donc de Margaret Astrid Lindholm Ogden, c’est-à-dire Robin Hobb, c’est-à-dire Megan Lindholm.
Née en 1952 en Californie, Margaret Lindholm passe la plus grande partie de sa jeunesse et de sa vie adulte en Alaska. C’est à l’âge de 19 ans que Margaret emprunte le pseudonyme de Megan Lindholm. Elle publie ses premières nouvelles auprès de fanzines, s’ouvrant ainsi la porte des maisons d’éditions. Elle écrira sous ce nom jusqu’à l’âge de 43 ans. Elle œuvrera ensuite en tant que Robin Hobb, et deviendra mondialement connue pour la merveilleusement-parfaite-lisez-la saga du Royaume des Anciens, et plus particulièrement, la trilogie de l’Assassin Royal.
Du fait de la renommée de son travail sous le pseudonyme Robin Hobb, l’œuvre de Megan Lindholm se voit souvent reléguée à l’arrière-plan. Ce qui est une erreur, à mon sens. Car si j’estime grandement le Royaume des Anciens, la littérature écrite par Megan Lindholm n’est en rien une introduction, ni le balbutiement de l’autrice à venir. Au contraire, c’est un travail à part entière, avec un caractère bien défini et qui possède beaucoup de qualités. Et parmi les œuvres de Megan Lindholm s’en trouve une en particulier, la plus puissante à mes yeux et qui a toute sa place sur l’autel de la grande Science-Fiction : Alien Earth.

Alien Earth est un roman publié en 1992 et est à ce jour la seule œuvre de Science-Fiction écrite par Lindholm (et Hobb aussi). A cet exercice, l’autrice excelle tout autant que dans la Fantasy.
Alien Earth raconte l’histoire de la planète Terre rendue inhabitable par les êtres humains. Les Arthroplanes, une espèce extra-terrestre et philanthrope, leur sont venus en aide : grâce aux Anilvaisseaux, les Humains ont été relocalisés sur deux planètes jumelles, Castor et Pollux. Après plusieurs siècles d’adaptation à cette nouvelle vie, le groupe réfractaire Terra Informa lance une toute dernière expédition auprès de la planète Terre. C’est ainsi que John, Connie, Tug et Raef se dirigent vers leur planète originelle, dans un dernier espoir d’y trouver un endroit guéri, habitable de nouveau.
“Of stars and the voids I sing, and of a kinless race,
Les étoiles et les vides je chante, et une espèce sans parent,
Who suckled their Mother Earth dry, and wept not
At her barrenness, but abandoned her to death.”
Qui s’abreuva de sa Terre Mère jusqu’à l’épuisement, et qui, au lieu de pleurer
Sa siccité, l’abandonna à sa mort.
Megan Lindholm travaille de manière centrée sur ses personnages. C’est-à-dire que ses œuvres ne s’inscrivent pas dans un genre qui tient le·a lecteur·ice constamment en haleine, ni ne propose de l’action de manière perpétuelle. Plutôt, l’objectif est de faire une incursion réaliste dans la peau des personnages et au fil du récit, de sentir les émotions grandir et s’emparer tout à fait de vous. Alien Earth est un roman plutôt introspectif, à tendance psychologique et philosophique. De fait, Megan Lindholm propose un rythme lent et détaillé. Elle souhaite amener le·a lecteur·ice à un ressenti bien spécifique, et tout est fait pour y venir. Nous grandissons avec les personnages et au fil des pages, il y a autant de ravissement quant à l’évolution de ceux-ci, que d’horreur face à toute l’ampleur de la situation exposée.
Tout d’abord, il y a Connie – une jeune femme timide, réservée et encline à l’anxiété. Avec elle, le·a lecteur·ice va redécouvrir un plaisir simple, désormais inhibé chez l’être humain : le contrôle de sa vie personnelle. Connie est un véritable vecteur d’engagement, car c’est avec elle que le désir de voir le monde changer grandit.
“They didn’t fix me, she thought to herself. They didn’t get all of it. And then wondered why the thought brought her such gladness.”
Ils ne m’ont pas réparée, se dit-elle. Ils n’ont pas tout eu. Et elle se demanda pourquoi cette idée lui apportait tant de joie.
Concernant les personnages masculins, Lindholm les aime tête de pioche et ceux d’Alien Earth en sont de bons exemples. Ils sont tous trois tenaces, fermes dans leurs croyances et peu décidés à demander de l’aide, plutôt que de tenter de tout résoudre par eux-mêmes. Et ainsi que c’est souvent le cas : vouloir tout faire, tout seul, ça ne marche pas. Alors, l’autrice ne nous épargne pas des envies de les secouer un bon coup, et cela rend d’autant plus satisfaisante l’évolution opérée tout au long du récit.
Là où l’approche de l’autrice est d’autant plus appréciable, c’est que Lindholm n’infantilise pas ses personnages, mais elle n’est pas tendre non plus. De même, l’autrice ne regarde pas avec jugement, ni de compassion écœurante ce·lleux qu’elle écrit. C’est-à-dire que s’il leur faut apprendre certaines choses par le biais d’expériences malencontreuses, alors ce sera fait. Ou encore, des aides extérieures interviendront, et il y aura des conversations difficiles, mais ô combien pertinentes et émouvantes. Lindholm nous parle de vrais êtres humains, dans de vraies vies. Elle sait autant manier l’art du dialogue interne, que s’effacer tout à fait derrière ses personnages, et ainsi, nous offrir une œuvre sans couture apparente.
Je pense notamment à une scène de repas entre John et un représentant de Terra Informa. Durant celle-ci, à mesure que l’explication de la mission future se fait, John passe du régal au dégoût le plus total envers son assiette. L’autrice travaille alors un style graphique et visuel très cinématographique dans son échange « ping-pong » entre les deux protagonistes, corrélé à la sensation de curiosité malsaine et finalement déplaisante, proche du dégoût pour John. C’est un moment d’une très grande finesse qui mérite de s’y arrêter et personnellement, elle m’a évoqué certains films de Martin Scorsese.
“There’s a point to all this, I take it. I mean, making me feel like an outmoded, brutish sort, and then feeding me pseudo-meat and telling me that the Human race has improved itself to the brink of extinction.”
Il y a un objectif à tout cela, je suppose. Je veux dire, à me faire sentir désuet, du genre grossier, et ensuite me nourrir de pseudo-viande et me dire que l’espèce humaine s’est améliorée au point de l’extinction.
“Of course. I just don’t know that you’re ready to hear it yet.”
– Bien sûr. Je ne suis juste pas sûr que vous soyez prêt à l’entendre pour le moment.
Dans ce roman, Lindholm nous parle de plusieurs thèmes : tout d’abord, la pureté écologique. Car, si les Arthroplanes viennent en aide aux humains, voir son espèce perdurer n’est pas prétexte à voir l’histoire se répéter. Pour résider sur Castor et Pollux, l’Humain ne doit plus jamais polluer. Pour ce faire, de nombreuses lois et réglementations ont été mises en place et peu à peu, l’Humain s’adapte, l’Humain change. Et ces modifications ne sont pas seulement d’ordre esthétique, elles sont aussi comportementales. Sous le joug des Arthroplanes, les êtres humains sont conditionnés, modelés, punis et « réajustés » en cas d’infraction. Peu à peu, l’être humain est en complète phase avec les planètes asiles et pourtant, il existe comme une gêne, une démangeaison profonde. Alors, l’Humain ne peut-il être que destruction pour son habitat ou peut-il changer réellement ? Et si c’est le cas, alors la déshumanisation progressive est-elle acceptable ? Et par pureté écologique, pour la survie de toute une espèce, peut-on tout justifier ?
De même, Lindholm interroge le·a lecteur·ice sur les notions de normes sociétales à l’épreuve du temps. Car les Anilvaisseaux font rempart au temps qui passe, et à chaque retour de voyage intergalactique (qui se compte en centaine d’années), l’équipage observe les changements effectués durant leur absence. C’est ainsi que Connie se questionne : si tel élément était proscrit il y a deux cents ans, pourquoi ne l’est-il plus aujourd’hui ? Le bien et le mal ne sont-ils que des variables soumis aux aléas des sociétés ? Avec elle, nous découvrons combien l’Histoire se répète – l’Humain connaitra toujours des époques d’austérité sociale, puis d’abondance. Et dans cette Histoire qui effectue des boucles infinies, le but même des personnages que nous suivons apparait douteux. Existe-t-il un intérêt à découvrir si la planète Terre est de nouveau habitable, si l’on sait déjà par avance ce que l’Humain en fera ? A quoi bon ?
“It got really crazy, guys with picks and shovels out breaking up parking lots, digging down and opening the dirt up to the sky again. People out harvesting wild grass seeds to try to get it to grow in the bare places. Finally, everyone trying when it was already too late.”
C’était devenu dingue, des gars avec des pioches et des pelles dehors à casser les parkings, à creuser et rouvrir la terre au ciel. Des gens qui récoltaient des graines d’herbes sauvages pour les faire pousser dans des endroits vides. Enfin, tout le monde qui essayait, alors que c’était déjà trop tard.
Plus que tout, Alien Earth est une œuvre sur la solitude et le retour à la solidarité.
Megan Lindholm excelle dans la création de mondes fictifs ; tout y prend vie, résonne de vérité et la frontière avec le réel est quasi impalpable. C’est un livre fluide, accessible, et qui ne tient qu’en un seul tome. Je déplore seulement de ne pas le voir plus souvent mentionné parmi les grandes œuvres de la littérature SF.
“John, it’s time we went home.”
John, il est temps que nous rentrions à la maison.
La bise les ami·es, et bon dimanche.

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