Voici un mois que j’ai le plaisir de vous écrire, de chroniquer mes lectures et d’échanger avec vous à leur sujet. De la Fantasy à la Science-Fiction, nous avons vu ensemble des œuvres ayant marqué l’histoire ; des romans à la plume remarquable, empreints de questionnements profonds – tant sur les plans sociaux, politiques que psychologiques. Alors, quand j’eus terminé la lecture de l’œuvre du jour, j’ai pensé « Super, c’est exactement ce dont nous avions besoin pour ce dimanche ! » C’est-à-dire : un livre avec strictement aucun enjeu majeur.
Ah, ça vous en bouche un coin là, hein ?!
Lire ne peut pas toujours être une quête de gravité, d’interrogations et de bouleversement intérieur. Lire, c’est aussi s’échapper, oublier un peu les vicissitudes de la vie, et s’amuser. Alors, découvrir des récits légers, courts, réconfortants, c’est aussi essentiel à un parcours littéraire je trouve. Pour cela, j’ai juste ce qu’il vous faut : The Wisteria Society of Lady Scoundrels d’India Holton.
Avant de vous parler en détail de ce roman, il convient de vous avertir de quelques petites choses. Tout d’abord, il n’existe pas de traduction française – seulement une édition en langue originale anglaise. Puisque très orientée vers la littérature anglo-saxonne, je les découvre en langue originale et malheureusement, il arrive assez souvent qu’il n’y ait pas (encore ?) de traduction française disponible. Cependant, j’ai bien à l’esprit que tous·tes n’ont pas forcément la possibilité d’en faire de même. Je veillerai donc à équilibrer les chroniques en fonction de ce paramètre, promis. Aussi, il est à noter qu’un chapitre de ce livre possède des scènes sexuelles graphiques ; elles ne sont pas violentes, ni dégoûtantes, ni quoique ce soit – mais je ne recommanderais donc pas ce roman à des enfants, ou jeunes adolescents. Et si vous fuyez ce type de dépitions – vous voici prévenu·es.

The Wisteria Society of Lady Scoundrels est le premier roman d’India Holton, une autrice néo-zélandaise. Il a été publié en juin 2021. Pardonnez ma non-expertise en tant que traductrice, mais le titre en version française donnerait à peu près ceci : La Glycine Association de Femmes Scélérates. Un titre qui donne le ton et m’a attiré l’œil – tout comme sa couverture aux teintes bleu ciel & lilas. C’est un roman qui tient en un tome ; en revanche, l’autrice a publié un deuxième livre prenant racine dans le même univers, et un troisième est à paraître cet été. De quoi perdurer dans ce monde fantaisiste encore un moment, si vous le cœur vous en dit.
The Wisteria Society of Lady Scoundrels raconte l’histoire de Cecilia, pirate élevée par sa tante Miss Darlington, et de Ned Lightbourne, missionné pour assassiner la dite jeune femme. Cependant, tout ne se passe pas comme prévu – l’assassin n’est pas bien diligent dans son opération et Cecilia a plus d’un tour dans son sac. Mais surtout, le passé refait surface quand le père de Cecilia réapparait, animé par un funeste projet. Cecilia et Ned s’allient face à cet antagoniste un peu trop nourri par les écrits des sœurs Brontë.
Dans la Wisteria Society, les genres se mélangent : fantastique, humoristique, historique, aventure et surtout, romance. Bien que je ne rechigne pas devant une histoire d’amour subsidiaire à l’intrigue principale, la romance n’est pas mon genre de prédilection et fait rarement partie de mes sélections littéraires. Cependant, la Wisteria Society a su me séduire et c’est avec plaisir que je me suis laissée porter au gré des 300 pages.
Dans ce premier roman, Holton nous raconte la recherche identitaire de Cecilia, pirate de 19 ans, au sein d’une société brigande qui l’a élevée, certes, mais est suspicieuse des origines troublées de la jeune femme. Cecilia revendique la non influence de sa filiation subie ; coincée entre une mère défunte très respectée par la Wisteria Society, et un père ennemi de longue date de l’association, Cecilia est toujours soit décevante, soit à un doigt de trop ressembler au paternel. La jeune femme ne rêve que d’une chose : asseoir sa place à la table de la Wisteria Society et ne plus se voir comparée.
Et cette recherche identitaire, Holton la narre très bien. Entre réflexions spontanées lors de présentations (« elle ne ressemble pas à sa mère »), regards en coin quand Cecilia s’exprime ou francs commérages, Holton insère avec justesse tous les éléments ramenant sans cesse Cecilia à sa filiation. Car, si pour la personne émettrice d’une phrase à l’allure anodine – une réflexion parmi tant d’autres, pour Cecilia c’est un rappel systématique, entendu à quasi chaque nouvelle rencontre. Cecilia ne peut jamais sortir de ce carcan familial, et donc, de la performance dans laquelle elle s’est enfermée malgré elle. Cecilia n’a qu’une idée en tête : prouver à la Wisteria Society sa valeur, et cela dirige ses actes en tout.
La deuxième difficulté rencontrée par Cecilia est la recherche de sa place entre deux sociétés contraires. En effet, la Wisteria Society se veut exclusivement féminine, autonome, revendicatrice de son indépendance et de grandes compétences en banditisme. Cependant, si nous baignons avec les ladys dans cette atmosphère féminine, la Wisteria Society s’inscrit bien dans une Angleterre patriarcale, au XIXème siècle. Et c’est là où le bât blesse : comment être une pirate voleuse, assassine, à la poursuite de traitrises, quand on est percluse de codes sociaux à respecter ? Cette contradiction, Holton la traite avec justesse là encore. Car Cecilia a bien conscience des enjeux patriarcaux de sa société, des difficultés rencontrées par les femmes et de l’injustice de la situation. C’est un fait acquis pour elle, une culture enseignée depuis sa tendre enfance, la réalité de sa vie quotidienne. Alors, Holton fait preuve de pertinence : plutôt que de nous nourrir de longs monologues sur le propos, elle parsème de ci de là ces éléments, comme des faits acquis, de simples rappels au détour de conversations. Et face à ces deux paramètres entourant sa personne, Cecilia peut être contradictoire, paradoxale, ou douteuse. Holton nous indique que c’est autorisé, personne n’est parfait – chacun·e fait de son mieux au sein de ce monde.
Plus encore, la contradiction entre respect de l’étiquette et quêtes de fourberies est un excellent levier à humour. A plusieurs reprises, Ned va enjoindre Cecilia et ses comparses à poursuivre une action ou quelque ennemi, et fera face à des blocages ; ce qui amènera une incompréhension entre la gent masculine et la gent féminine. Ce sont des scènes infiniment drôles et l’autrice manie à merveille l’art du dialogue caustique.
Cecilia had seen the houses rising like hot-air balloons over the trees – albeit rectangular, rigid, and less colorful, without flames beneath, so in fact nothing like hot-air balloons, but a failure of simile was the least of her problems at this moment.
Cecilia avait vu les maisons s’élever comme des montgolfières au dessus des arbres – bien que rectangulaires, rigides, moins colorées, sans flamme dessous, donc en fait, rien à avoir avec des montgolfières, mais un défaut de comparaison était bien le dernier de ses problèmes, présentement.
L’humour est définitivement « british » dans the Wisteria Society of Lady Scoundrels ; sarcasme, scènes absurdes, dialogues pincés ; ce sont 300 pages d’amusement et cela faisait longtemps que je n’avais pas ri aussi ouvertement durant une lecture. Holton puise aussi son inspiration dans les films et séries des années 80-90s, et cela fonctionne à merveille. Elle nous offre plusieurs « running jokes » – le pauvre Jacobsen ne verra jamais son nom prononcé correctement – ou encore, dépeint les petits détails que l’on ne raconterait pas dans un roman d’aventure. L’autrice est friande des « ratés », de l’absurdité de certains réflexes humains. Je pense notamment à la scène des dialogues croisés entre Ned/Cecilia et Constantinopla/Tom, durant laquelle Ned se gratte la tête, épée toujours en main et manque d’éviscérer Tom, par automatisme. C’est tout simple, un détail, un « loupé », mais qu’est-ce que ça fonctionne bien !
It is violence that best overcomes hate, vengeance that most certainly heals injury, and a good cup of tea that soothes the most anguished soul ; thus ran the motto of the Wisteria Society of Lady Scoundrels.
C’est la violence qui vainc le mieux la haine, la vengeance qui soigne sans faillir les blessures, et une bonne tasse de thé qui apaise l’âme la plus angoissée ; ainsi allait la devise de la Wisteria Society of Lady Scoundrels.
L’humour est aussi présent dans l’aspect fantastique du roman. La magie est celle-ci : les femmes pirates de la Wisteria Society possèdent une incantation magique leur permettant de faire voler leur maison, et se déplacent ainsi. Et autant vous dire qu’elles ne sont pas toutes bien douées ; de nombreuses maisons terminent en plein milieu d’un marché, ou écrabouillant de pauvres lampadaires qui se trouvaient là.
Enfin, Holton nous présente une jolie romance, efficace, et progressiste en regard de l’époque dépeinte. En effet, la pureté et l’inexpérience de Cecilia ne sont pas des faits valorisés dans sa relation avec Ned. Exit le mythe de la jeune fille « pure », « chaste » et « immaculée ». Plutôt, Holton valorise les compétences, l’intelligence et la dextérité de Cecilia. Ned apprécie certes l’apparence et les traits esthétiques de la pirate, mais ce n’est pas ce qui le fait fondre – ce sont les réflexions et faits d’arme de Cecilia qui font effet sur lui. Dans un roman certainement lu par de jeunes adultes, je trouve que c’est chose précieuse que d’inculquer ce type d’approche amoureuse. (Bon point bonus : un homme qui n’abuse pas d’une femme en état d’ébriété, peu importe son attirance pour lui, c’est toujours chouette à lire). Concernant Cecilia, je trouve qu’Holton a su équilibrer les premiers émois ressentis, le trouble que cela apporte (autrement dit, Cecilia minaude) et la personnalité forte, capable et perspicace de la jeune femme. Là encore, exit la femme amoureuse qui devient tout bonnement incapable, à n’en plus savoir son propre nom. En parallèle de Cecilia & Ned existent d’autres couples. S’ils n’ouvrent pas la porte à la diversité amoureuse, ils sont aussi construits dans une philosophie de mise en valeur des personnalités.
The Wisteria Society of Lady Scoundrels est le parfait exemple du roman drôle, aérien, peu engageant, et qui pourtant parle de sujets importants. Holton saisit l’occasion de cette romance fantastique pour mettre à l’honneur les femmes du XIXème siècle et leur souhait de voir les mœurs sociales évoluer. India Holton nous parle de femmes actrices, actives, meneuses sur fond mélodramatique et empli d’humour caustique. Alors, pour une bonne tranche de rire, à bord de maisons volantes : foncez !
Bon dimanche et joyeux moisniversaire au blog !
La bise, les ami·es.

Oh joyeux moisniversaire de blog !
Tu m’as complètement convaincue d’aller voir ça de plus près : du déjanté à la sauce british, de la magie et des pirates, je suis même prête à me laisser emporter par la romance (c’est dire !). J’ai vu qu’il existait en audio également, je me demande si je ne vais pas le découvrir dans ce format-là, j’ai l’impression que ça peut rendre pas mal aussi. En tout cas je vais aller lire ça prochainement, c’est une certitude. Merci pour la découverte !
Ah mais c’est une bonne réflexion ça, je serais très curieuse en effet de savoir ce que donne la version audio ! Avec plaisir pour la découverte, j’espère qu’il te plaira !
Joyeux Moisniversaire 🥳🥳💖
Je passe mon tour pour ce livre mais je te rejoins sur la nécessité de lire également des récits moins denses !
Merci pour ce gentil mot ! Haha ça marche, pas d’humour british pour toi alors :p