Tous les ans, au printemps, se tient le Grand Prix de l’Imaginaire. Originaire de Clermont-Ferrand, il a visité la Vienne, Nantes et ses Utopiales, et désormais, il se tient à Saint Malo à l’occasion du festival des Etonnants Voyageurs. Le Grand Prix de l’Imaginaire a été créé en 1974 et a pour objectif de décerner un prix honorifique au meilleur roman de la littérature imaginaire de l’année passée. Alors, lorsqu’on est passionné·e par ce genre littéraire, cet évènement est attendu et regardé avec grand intérêt. Bien sûr, je ne déroge pas à la règle !
Comme vous le savez, la littérature dont je me nourris est en grande majorité d’origine anglo-saxonne. Non pas que je boude spécifiquement la langue française. Je dirais plutôt qu’elle souffre de l’effet inverse – l’anglais sonne à mes oreilles, roule sur ma langue et peu à peu, le français s’en est trouvé délaissé. Cette année, j’ai décidé que cela devait changer. Il est temps de réinvestir le français. Tout de même, c’est un comble de lire autant, et pourtant si peu dans sa propre langue. Alors, lorsque le jury du Grand Prix de l’Imaginaire a dévoilé sa première sélection de romans francophones, je me suis donnée pour objectif de la lire.
Un peu par hasard, j’ai décidé de débuter par Les Flibustiers de la mer chimique de Marguerite Imbert. La couverture me plaisait, le titre plus encore et la SF est toujours une mise sûre me concernant. Je n’ai pas été déçue du voyage – ce fut même un sacré coup de cœur ! Les Flibustiers de la mer chimique est paru en septembre 2022 chez Albin Michel Imaginaire. Il compte 450 pages environ. Son autrice est née en Guadeloupe en 1994 et c’est son deuxième roman.
Ici, nous suivons Ismaël et Alba. Ismaël est un naufragé recueilli par le sous-marin Player Killer. Désormais sous la houle d’un capitaine excentrique, Ismaël cherche le moyen de mener à bien la mission qui lui a été confiée, alors que malgré lui, tout cet équipage pourfend les mers chimiques qui habitent désormais le globe terrestre. Alba, quant à elle, est une Graffeuse ; elle détient la mémoire du monde, est l’Historienne 3.0. Enlevée par un clan pour des raisons inconnues, elle se retrouve à Rome, désormais île entourée des flots toxiques de la Méditerranée. Alba découvre les entités qui animent ce clan et la raison de son enlèvement. Peu à peu, nous découvrons le lien tissé entre Ismaël et Alba, bien que les kilomètres comme les origines, semblent les séparer.
Dans ce second roman, Marguerite Imbert nous raconte une planète Terre recouverte d’eaux toxiques, avec lesquelles il ne faut surtout pas rentrer en contact. Un drame a eu lieu et le·a lecteur·ice n’en connait pas l’essence. Les humains, quant à eux, ne sont plus qu’au nombre de quelques milliers, semés aux quatre coins des continents. La plupart tente de s’allier entre clans, de former de grands groupes, tandis que certain·es choisissent la piraterie et de créer leur propre famille. Mais tous·tes sont animé·es par le désir de ne pas voir l’Histoire se répéter ; il faut survivre, oui, mais pas à n’importe quel prix.
« Moi, j’ai toujours été jalouse de la facilité avec laquelle nos ancêtres accédaient à l’information. Profuse, contradictoire, assourdissante, merveilleuse information ! Il suffisait de se pencher pour cueillir de la data. Nous savions tout. Nous avons lus les étiquettes et les journaux, nous avons surfé des années durant. Et pourtant, cela ne vous a pas empêchés de manger, de boire, d’acheter, de voter et d’inventer les podcasts. Ce n’est pas la première fois que je le dis et certainement pas la dernière, mais nous avons bien mérité de nous éteindre. »
La plume de l’autrice est habile et pleine de savoir-faire. Marguerite Imbert s’amuse avec la langue française, tout comme elle se joue de ses propres personnages. Entre énoncés philosophiques et répliques percutantes menant à réflexion chez son·a lecteur·ice, l’autrice mêle un lexique démodé à celui typique de sa génération née dans les années 1990s. Le vocabulaire est très fourni, les expressions abondantes et quand tout s’emballe et se mêle, Marguerite Imbert réussit son tour et fait rire son·a lecteur·ice. C’est un équilibre fin, et sans aucun doute maîtrisé avec grâce dans les Flibustiers de la mer chimique. En point final de ce style plein d’intelligence, Marguerite Imbert nous fait le bonheur d’une chasse aux références, disséminées dans son récit. Là encore, ce n’est pas rappeler les « easter eggs » dans les jeux vidéo – ces fonctions cachées qu’il faut s’amuser à découvrir. Par exemple :
« Les avait-on bannis de la ville ? Si la misère est moins pénible au soleil, elle n’offre pas un spectacle beaucoup plus ragoûtant. »
Ou bien :
« Non, je rejoins Jack et Mercutio. »
Et si vous avez les deux réf’s, un gros poutou à vous. Sinon, donnez votre langue au chat dans les commentaires !
En plus d’un style impeccable, Les Flibustiers de la mer chimique relate des personnages complexes et plus profonds qu’ils ne donnent à croire au premier coup d’œil. Marguerite Imbert nous parle d’humains qui sont le pur produit de leur génération : un cataclysme sans nom, une solitude sans fin, et le regard qui ne porte pas bien loin. Que ce soit par la volonté de se fermer au reste du monde, à l’Histoire, au savoir, ou bien à un avenir (im)possible, tous·tes n’ont à l’esprit que de vivre l’instant présent. Et ce, quitte à justifier et se pardonner les actes les plus vils plutôt que de se remettre en question et de sonder sa conscience. Bien sûr, il existe 2-3 personnages non concernés par ces aspects. Cependant, l’autrice les refuse à nos yeux et les éloigne. Et ce, à juste titre : notre expérience de lecteur·ice en serait profondément changée. Car là encore, Marguerite Imbert fait preuve malice : puisque nous sommes en échange constant avec des êtres confrontés à leur seule conscience, et puisque nous baignons dans cet environnement sans cesser… Alors, nous aussi, nous en venons à accepter bien plus que nous ne l’aurions fait dans notre vie quotidienne. Nous aussi, nous pardonnons, regardons ailleurs, évitons les sujets qui fâchent. Et ainsi, l’autrice place notre regard extérieur et supposément objectif, à la même position que celui des personnages narrés. Dans ces conditions, impossible de se croire plus compétent que la troupe observée. Par ce même biais, l’autrice nous interroge : et nous, témoins, quel est le prix de notre déni ? Et ça, c’est vraiment très fort de sa part.
« Je sais ce que vous pensez des Flibustiers. Des truands qui dégueulassent les océans sans compassion, inféodés au marché noir. Mais réfléchissez-y : l’Histoire nous a donné naissance. Nous sommes si différents, vous et moi, et pourtant issus de la même sélection drastique, de la même coïncidence cosmique. Si vous avez raison, j’ai raison moi aussi. Tous les jugements derniers ont déjà eu lieu, toutes les épreuves. Si j’étais du mauvais côté de l’Histoire, je serais mort. Qu’est-ce que vous voulez de plus ? »
Les Flibustiers de la mer chimique est un roman épique et l’autrice nous fait profiter d’une ambiance chaleureuse, accueillante. A la moitié du roman, le rythme s’emballe, les pièces du puzzle s’assemblent et Marguerite Imbert nous emmène vers un dénouement satisfaisant. J’ai aussi beaucoup apprécié le traitement du pan écologique du roman. Il apparait clair que la planète est profondément changée, et pourtant, elle perdure, sans faire grand cas des Humains présents. Alors, avec Ismaël et Alba, nous découvrons cette vie neuve et l’originalité des conditions auxquelles ils doivent faire face. Néanmoins, ce sont des faits acquis pour eux – rien de plus que leur quotidien. De cette façon, l’autrice tisse avec naturel et simplicité le message écologique de son récit, tout en l’imprimant avec clarté dans notre esprit. Chapeau l’artiste.
« Mais la punition venait de nous. La fin du monde était en nous. Nous trimballons la défaite comme un héritage glorieux. Tous ces arbres, partout, qui se miraient dans les canaux ! Leurs racines finissaient par avoir raison du béton. Elles se jetaient dans le vide des studios et des bureaux sinistrés. Il y avait de quoi devenir fou. Moi, je n’étais pas folle, et je tenais le bon bout. Très fermement. »
Vous l’aurez compris les ami·es, j’ai adoré suivre ces grands gamins (dont la mentalité est à revoir sur pas mal d’aspects, hum) et j’espère sincèrement que l’autrice nous fera le plaisir de futurs romans. En tout cas, je garderai un œil averti sur le sujet.
Allez, la bise les ami·es, et bonne chasse aux œufs.

Vazy j’ai pas la seconde réf ><
Haha, elle est un peu vicieuse celle-ci et c’est peut-être même une interprétation de ma part ! Personnellement, j’y ai vu un lien direct avec Leonardo Dicaprio : son rôle de Jack dans Titanic, et le rôle de Mercutio dans Romeo et Juliette (Leo étant lui-même Romeo)
Je te conseille ++ cette lecture en tout cas, j’espère qu’elle te plairait bien ! Merci pour ta fidélité ici
Bon, encore un roman que je regardais vaguement de loin et qui vient de faire un sérieux bond dans ma wish-list… Ne cesseras-tu donc jamais de nous faire saliver devant tant de pépites de l’imaginaire ?
Ah là pour le coup, il faut vraaaiiiiment le lire ! C’est une bouffée de fun, d’intelligence, de créativité et d’exercice littéraire super intéressant. Un petit coup de coeur du début d’année, sans hésiter ! J’espère qu’il te plaira, si en effet tu sautes le pas !
J’avais les deux refs j’avais les deux refs !
Merci, faut que j’arrête de lire tes reviews en fait car je veux tout lire après. Bon, déjà, Alien Earth
Ah mais je n’en attendais pas moins de toi ! Je crois que celui-ci te plairait énormément ; je t’y vois bien avec notre Araignée, mais aussi errer dans les eaux toxiques de la Méditerranée… Un univers de lion au curry, ça !
Merci de revenir par ici et de m’y laisser des petits mots. Je suis ravie d’apprendre que les chroniques te font envie. Mouak !