A l’heure du roman cosy, de la fiction douce et réconfortante, il est une autrice précurseur du genre et trop peu souvent mentionnée à mon goût : Diana Wynne Jones.
Née en Angleterre en 1934, Diana Wynne Jones décide très jeune de devenir autrice. Elle étudie l’anglais à Oxford et y trouvera pour professeurs notamment CS Lewis et JRR Tolkien. Elle débute sa carrière dans sa petite trentaine et se verra régulièrement nominée pour les plus grands prix de littérature de l’Imaginaire ; elle en recevra quelques-uns. Elle sera aussi une grande source d’inspiration pour les auteur·ices à venir, tels que Pullman, Pratchett, Rowling et Gaiman. Diana Wynne Jones écrit principalement pour les enfants et les adolescents ; néanmoins, son œuvre ne s’y cantonne pas et Diana Wynne Jones explore également la Science-Fiction et les récits non fictifs. L’autrice décède en 2011, à l’âge de 76 ans, d’un cancer.
Lors de la visite d’une école, Diana Wynne Jones reçoit la demande d’un écolier : écrire une histoire sur un château qui bouge. Bienheureux soit ce jeune homme, car grâce à son initiative est née tout un univers dans l’esprit de l’autrice. Ainsi, parait en 1986 Le Château de Hurle, un roman destiné au jeune public.
Bien sûr, c’est aussi un film d’animation – une très célèbre adaptation du livre mise en œuvre par Hayao Miyazaki sous le titre du Château Ambulant en 2002. Non seulement le film est une superbe réussite, mais il aura aussi permis de remettre l’oeuvre de Diana Wynne Jones sous les spotlights. Que demander de plus ? Néanmoins, le Château Ambulant est une interprétation du Château de Hurle. L’atmosphère fantaisiste du roman y a été traduit avec beaucoup de justesse, et l’on retrouve de nombreux éléments en commun. Cependant, Wynne Jones et Miyazaki ont tous deux développés des axes différents. Miyazaki travaille le sujet de la guerre et du pacifisme, tandis que Wynne Jones se concentre sur les identités et le paraître. Ne vous attendez donc pas à trouver dans le roman une version écrite du film !

Le Château de Hurle est un livre de 400 pages environ, il est édité par Pocket Jeunesse et Ynnis éditions. Les deux maisons d’éditions proposent des traductions assez similaires ; seuls les noms des lieux et protagonistes changent. Le Château de Hurle est le premier tome d’une trilogie. Il se suffit à lui-même, bien que je vous recommande de découvrir la trilogie entière tant elle est de qualité. Voici le résumé de ce premier volet :
On raconte que le magicien Hurle vole les âmes des jeunes filles et qu’il dévore leur coeur. Alors, quand apparaît, dans les nuages, son immense château noir, la panique s’empare des habitants de la vallée. Seule Sophie, transformée en vieille femme par une sorcière, décide de surmonter sa peur. Son espoir : rencontrer le magicien pour être libérée de cette malédiction.
Ce roman est une quintessence de récit magique. Diana Wynne Jones créé un univers de toute pièce, un monde unique en parallèle du notre. C’est une planète aux facettes multiples, ainsi que le démontre la porte enchantée du château de Hurle qui, par un déclenchement de mécanisme, nous emporte dans différentes contrées, via le même seuil. Tour à tour, l’autrice dépeint une lande parsemée de bruyères, une petite ville portuaire, une grande cité où trône le roi, ou encore, la Grande-Bretagne – lieu d’origine du sorcier Hurle. Le monde est parsemé de détails féériques, d’outils ensorcelés et les malédictions y vont bon train. On y retrouve des bottes parcourant mille lieues par pas, des capes de métamorphose, des poudres à répandre sur la coque des bateaux pour résister aux tempêtes les plus terribles… Diana Wynne Jones décrit une atmosphère enchanteresse, riche d’idées aussi fascinantes que merveilleuses. Le Château de Hurle est une dérobade à notre monde, un moment de régal pur.
Dans le pays d’Ingary, où des choses étonnantes comme les bottes de sept lieues et les capes d’invisibilité existent bel et bien, c’est une véritable calamité que d’être l’aîné de trois enfants ; chacun sait que vous serez le premier à échouer, si d’aventure vous décidiez d’aller chercher fortune.
Dans cet univers fantastique, Diana Wynne Jones y place des personnages au fort caractère et très entiers. Dans la quête de Sophie pour se libérer de sa malédiction, nous découvrons pléthores de personnalités toutes aussi engageantes, drôles, qu’intéressantes. Sophie est courageuse, aventurière, déterminée mais aussi têtue qu’une mule, fouineuse à souhait et à la limite de la mauvaise foi quand elle se fait attraper. Hurle est un jeune homme aussi beau que vain, enclin aux grandes scènes dramatiques et à la flagornerie, tandis que Calcifer est un démon espiègle, qui aime à geindre pour obtenir de l’attention. Et parmi toute cette joyeuse troupe, l’apprenti sorcier Michael se démène pour que la barque ne coule pas. C’est une sacrée bande que nous présente là l’autrice, et l’on rit de bon cœur avec elle. Et qu’on se le dise : Le Chateau de Hurle est un roman très drôle. L’autrice déploie un humour caustique par le biais de dialogues incisifs, de répliques vives et cinglantes. Il y a beaucoup d’ironie dans ce que raconte Diana Wynne Jones et ce, pour notre plus grand bonheur.
Cependant, ces protagonistes n’ont pas pour seul objectif l’amusement. Ils sont aussi la porte d’entrée des thématiques travaillées par l’autrice. Ainsi, Diana Wynne Jones nous parle d’emprisonnement dans son identité : si Sophie est intrépide, son manque de confiance en elle est sa plus grande barrière. Hurle, quant à lui, se camoufle derrière une identité séductrice et lâche quand, réellement, il recèle d’un coeur tendre et valeureux. Le Chateau de Hurle nous raconte comment vaincre ses propres pièges limitants, comment ne plus se destiner à l’auto-sabotage et embrasser qui l’on est. Diana Wynne Jones transmet à son jeune public la force de s’accepter et de s’apprécier tels que nous sommes.
Sophie se regarda dans le miroir, et dut s’approcher pour voir. Le visage dans la glace était plutôt calme, car c’était ce qu’elle s’attendait à découvrir. C’était celui d’une vieille femme émaciée, usée, brunie, entouré de cheveux blancs. Ses yeux, jaunes et humides, lui rendaient tragiquement son regard.
« Ne t’en fais pas, vieille chose, dit Sophie à cette triste figure. Tu as l’air en bonne santé. Et ça ressemble beaucoup plus à ce que tu es au fond de toi. »
L’autrice examine aussi le sujet des apparences trompeuses, des préjugés basés sur les ouï-dires ou l’apparence physique. Ainsi, entre l’âge adolescent et celui de la vieillesse, Sophie changera d’opinion à propos de mêmes sujets. De même, persuadée de la vilenie de Hurle ou de la noirceur de Calcifer de part son apparence démoniaque, Sophie découvrira le cœur véritable de ces personnes. Sophie apprend à ne pas croire tout ce qu’on lui dit, ni à juger un livre à sa couverture seule. Pour illustrer ce sujet, l’autrice fait des maisons et foyers les meilleurs représentants de qui l’on pense être : ainsi le château de Hurle est sale et délaissé, tandis que la Sorcière des Steppes réside dans le désert, au milieu du vide.
Je n’ai jamais compris pourquoi les gens accordent tant d’importance au naturel.
Dans le Château de Hurle, tout paraît simple. Mais à la vérité, rien n’est simpliste. L’autrice nous livre un excellent exemple de ce qu’est la maîtrise d’un récit. C’est un livre tissé à la perfection : Diana Wynne Jones présente plusieurs fils narratifs et les réunit à la fin d’une main de maitre. Les chapitres se lisent sans aucune hésitation ; toujours engageants, ils ne laissent jamais notre attention défaillir. La plume de l’autrice est fluide, accessible, et son vocabulaire très fourni dans le même temps. Diana Wynne Jones démontre tout le savoir-faire de son artisanat.
Enfin, je crois qu’il est important de mentionner l’aspect historique de cette œuvre. Le Château de Hurle est publié en 1986. A cette époque, la plupart des romans de fantasy anglosaxonnes explorent les mythologies et contes européens. Diana Wynne Jones fait partie des premiers à se tourner vers les mythologies orientales. Elle propose également un roman contrasté, à la vision nuancée plutôt qu’un monde binaire où les gentils affrontent les méchants. Et dans ces années là, il était rare d’observer ce type d’écrit quand celui-ci s’adressait à un public jeune.
Si tu ne rencontres pas le succès d’emblée, essaie encore.
Le Château de Hurle est une œuvre enchanteresse, drôle, et aux multiples couches d’interprétation. C’est une œuvre parfaite pour l’audience à laquelle elle est destinée, tant elle est emplie de jolis apprentissages et d’idées neuves. Personnellement, j’aime à la relire régulièrement ; je trouve que le Château de Hurle ne se résume pas à l’enfance ou l’adolescence. C’est un roman qui nous accompagne à tous les âges ; et là encore, j’y trouve une preuve de l’excellence du travail de Diana Wynne Jones.
Allez les ami·es,
La bise et bon dimanche.

J’avoue que je le lorgnais un peu de loin, sans jamais pour autant savoir s’il me tentait vraiment… Allez, zou, direct dans la wish-list ! Il a l’air aussi doux que profond, et j’ai l’impression que ça sera la lecture parfaite pour se plonger dans une petite bulle qui fait du bien… Et puis, l’édition que tu as est sublime !
Ah clairement c’est un livre que je recommande à 2000% ! Et dans ton cas, je pense qu’il te plaira fort et te rappelera ton Pratchett chéri. Les éditions FolioSociety sont coûteuses, mais boudiou, combien je les adooore