Un peu par hasard, je suis tombée sur une recommandation concernant ce roman, et un peu par hasard aussi, je me le suis procuré rapidement. Quelque chose avait attisé ma curiosité dans la lecture de cet avis, et je me suis plongée dans The Watchmaker of Filigree Street sans même avoir pris connaissance du quatrième de couverture. Nous voici quelques années plus tard, et alors que je m’interrogeais quant au sujet de ma chronique du jour, mes yeux sont tombés sur la couverture du premier roman de Natasha Pulley. L’évidence : mais oui, c’est bien sûr !
A ce jour, je n’ai jamais vu ce livre évoqué dans les sphères imaginaires francophones, et ce, à ma grande surprise. The Watchmaker of Filigree Street est une perle de littérature fantastique ; c’est une de ces œuvres auxquelles je repense fréquemment avec tendresse. Si temps ne m’était compté, je le relirais de ce pas d’ailleurs. A vous qui le découvrirez pour la première fois, je vous envie quelque peu, je l’admets. Pour ne pas faire durer plus l’attente, voici ce dont parle The Watchmaker of Filigree Street :
En 1883, lorsque Thaniel Steepleton retrouve son petit appartement londonien, il découvre une montre à gousset en or sous son oreiller. Six mois plus tard, le mystérieux objet lui sauve la vie quand il déclenche son alarme et ainsi, pousse Thaniel à s’échapper de Scotland Yard, où une bombe explosera quelques secondes après. Thaniel Steepleton se met à la recherche de l’horloger créateur du dit objet et fait la rencontre de Keita Mori, un homme doux et solitaire. Bien que Mori paraisse inoffensif, une série d’évènements inexplicables pointent vers l’horloger…
Publié en 2015, L’horloger de Filigree Street est un roman qui a ce petit quelque chose de Sherlock Holmes. Etabli à l’ère victorienne, il nous emporte à la découverte des rues de Londres et de ses différentes communautés. Nous y découvrons les dessous de la ville ; ses mécanismes, son ambiance, ses allées sombres et ses grands parcs fleuris. A mesure que nous traversons les rues de la capitale, nous nous engouffrons aussi dans une mystérieuse affaire pleine de rebondissements. Plus l’histoire avance et plus nous avons à cœur d’appréhender sa résolution, d’enfin connaître les réponses à nos questions. A cela, l’autrice ne faut pas : la fin est inattendue, saisissante ; ce, pour notre plus grand plaisir !
“He was not poor – he could afford ten candles & two baths a week. He wasn’t going to throw himself in the Thames for the misery of it all and God knew most of London was worse off. All the same, he had a feeling life should not have been about ten candles and two baths a week.”
“Il n’était pas pauvre – il pouvait se permettre dix bougies & deux bains par semaine. Il n’allait pas se jeter dans la Tamise pour le principe de sa tristesse et Dieu savait combien la plupart de Londres était en bien pire état. Pourtant, il avait la sensation que la vie n’aurait pas du être à propos de dix bougies et de deux bains par semaine.“
C’est aussi un roman qui a toute sa place dans le domaine de l’Imaginaire. En effet, Keita Mori est un homme doué de clairvoyance. L’horloger – qui fait le titre – voit tout, tout le temps, et sait le futur avec certitude.
De manière générale, je me peux vite me retrouver en difficulté face à des récits traitant de voyages dans le temps. Ainsi que l’histoire littéraire et cinématographique nous l’ont prouvés, c’est un thème délicat et il est fréquent de rencontrer des failles impitoyables dans le récit. Ici, cependant, il n’en est rien. Certes, le sujet n’est pas directement celui du voyage dans le temps. Mais l’on s’en rapproche néanmoins par le personnage de Keita Mori : chaque action a des conséquences sur l’avenir. Plus encore : une perception, une différence d’opinion entre une chronologie, et l’autre, ont des conséquences sur leur avenir. L’autrice traite le sujet avec le goût de l’équilibre : elle définit ce qui relève de la chance, du hasard pur, et de ce qui, à l’inverse, est prédisposé à enclencher des répercussions. Nathasha Pulley propose à de nombreuses reprises des exemples concrets de ces idées et ne fait jamais l’erreur d’en oublier une en cours de route. J’ai particulièrement apprécié sa manière subtile d’incorporer la science à la notion de destin ; cela rend le récit très réaliste, et amène à d’intéressantes réflexions.
“His thoughts were starting to take on a strange ring: they had shrunk from their usual size and now the ordinary attic that was his ordinary mind looked like a cathedral at night, with endless galleries and rafters lost in the dark and nothing but the echoes to show where they were.”
“Ses pensées commençaient à prendre une tournure étrange : elles s’étaient rétrécies comparé à leur taille habituelle et maintenant, le grenier ordinaire qui faisait son esprit ordinaire, ressemblait à une cathédrale la nuit, constituée de galeries sans fin et de plafonds perdus dans le noir, et rien d’autres que des échos pour montrer où elles se trouvaient.”
A l’image de l’horloge dont le récit tourne autour, Natasha Pulley écrit à un rythme très précis. L’autrice ne fait aucune concession à son·a lecteur·ice : lorsqu’elle souhaite prendre son temps, elle le fait, et quand elle veut nous engager dans l’action, elle accélère le pas avec justesse. De fait, la première partie du roman peut sembler très lente – pour les plus impatients, accrochez vous, je vous assure que cela en vaut la peine ! De même, Natasha Pulley nous dévoile des personnages très entiers. Certains sont adorables et nous nous y attachons vite, tandis que d’autres nous froissent et nous agacent. Ainsi qu’il en est sur notre petite planète : nous ne pouvons aimer chaque individu que nous rencontrons. L’autrice a conçu et observé ses protagonistes sous toutes les coutures – elle nous les livre tels quels ; c’est à nous de former notre avis à leur propos. L’autrice fait preuve de confiance envers son·a lecteur·ice : elle ne répète pas à tort et à travers ce que nous devrions penser d’untel ou unetelle. Dans l’esprit de son travail, je ne dévoilerai pas ici mon opinion quant aux différents personnages : je vous en laisse la découverte.
Enfin, si le thème principal du roman concerne l’inexorabilité du temps, il est en un second qui, à mes yeux, en est le cœur véritable : la relation entre Thaniel et Keita. Au travers des mystères et drôles d’évènements qui s’enchaînent, Thaniel et Keita vont se lier. Via le regard de Thaniel, nous découvrons toutes les différences et incompréhensions entre ces deux hommes, mais aussi une alchimie évidente et inexplicable. Entre eux deux se créée alors une tendresse profonde et ravissante. Mais l’autrice n’en reste pas là : elle explore la difficulté de vivre une telle relation dans un univers qui ne montre aucun exemple d’amour entre deux hommes – une société, même, qui l’abhorre. Natasha Pulley décrit avec pertinence cette amitié qui n’en est pas réellement une, et finalement, la réalisation de Thaniel face à l’évidence de ses sentiments. S’ensuit l’amour qui évolue à pas de loup, pour ne jamais se faire remarquer, pour être en sécurité – pour vivre, vivre seulement.
“I’m afraid loyalty is a continuous phenomenon. You don’t score points for past action.”
“Je crains que la loyauté ne soit un phénomène continu. On ne marque pas des points pour des actions passées.“
The Watchmaker of Filigree Street est un roman d’une tendresse incroyable ; il y a beaucoup de beauté dans la plume de Natasha Pulley lorsqu’elle nomme l’amour. Mais c’est aussi un roman de découvertes, d’une enquête à résoudre, de conversations autour du temps et des conséquences de nos actions. C’est un livre qui parvient à nous tirer de notre propre univers ; il possède une atmosphère calfeutrée, un peu étrange, différente. L’horloger de Filigree Street est définitivement un livre à découvrir et à partager autour de soi !
Et pour perdurer dans le plaisir, sachez qu’il existe deux autres tomes : The Bedlam Stacks qui traite d’un tout autre sujet et d’autres personnages, ainsi que The Lost Future of Pepperharrow, la suite de ce premier volet. A noter que les deux tomes suivants sont tout aussi solides que le premier – l’autrice ne tombe pas dans la redite, ni la moindre qualité. C’est une très belle trilogie et bravo à Natasha Pulley d’avoir débuté sa carrière par un projet de cette envergure et si bien réalisé.
Allez, la bise les ami·es,
Bon dimanche.
