Découvert durant mon adolescence avec La ballade de l’impossible, Haruki Murakami est un auteur tendre à mon cœur. Emue par ce que je ne savais encore définir, cet écrivain a accompagné mon entrée dans le monde adulte, puis, dans la mise en place de la maturité. A l’occasion de mes 30 ans, j’ai éprouvé le besoin de me replonger dans les histoires qui avaient jalonnées la première époque de ma vie. Parmi celles-ci, la tranquille et solitaire vie d’Aomamé, de Tengo aussi. Aujourd’hui comme à l’époque, 1Q84 est un roman qui a su m’emporter et continue de me fasciner – tant et si bien que je souhaite vous en parler.
Aomamé a 29 ans et mène une vie solitaire et ascétique à Tokyo. Officiellement, elle est professeure d’arts martiaux. Officieusement, elle assassine des hommes violents pour le compte d’une riche philanthrope. Tengo a 30 ans et il n’aime pas bien fréquenter d’autres personnes. Il est professeur de mathématiques, auteur à ses heures perdues. Par un jour tout à fait ordinaire, Aomamé se voit demandée d’enquêter au sujet d’un homme puissant et soupçonné d’agressions ; Tengo, lui, décroche un projet de rédaction de la vie d’une jeune fille survivante de secte. Par un jour tout à fait ordinaire, tous deux empruntent un chemin : celui mince et décalé de la grande tracée. Désormais, ils évoluent dans un monde à deux lunes, l’un en parallèle de l’autre, dans l’année 1Q84.
1Q84 est une trilogie dont chaque tome fait environ 500 pages. Publiée entre 2009 et 2010, elle est la douzième œuvre de Haruki Murakami, l’un des auteurs japonais contemporains les plus lus au monde. Flirtant entre réalisme cru et fantaisie onirique, 1Question84 est un roman gorgé d’une atmosphère toute particulière. Dans cette année dépeinte comme une vaste interrogation, Haruki Murakami traite ses sujets chéris : l’amour, la religion, la solitude et le rapport au corps. Hommage à l’œuvre magistrale d’Orwell, Haruki Murakami nous raconte sa vision de l’emprisonnement de l’esprit humain.
Aomamé et Tengo mènent des vies bien différentes et l’auteur se plait à les opposer en tout. Aomamé apporte la mort tandis que Tengo fait naître la vie par son écriture ; elle aime à papillonner et trouve dans la sexualité la satisfaction d’un besoin purement biologique, quand lui préfère le confort de la stabilité, de ce qui est régulier et organisé. Aomamé entre dans une institution, Tengo découvre comment en sortir. Et pourtant, c’est bien de l’inverse dont il s’agit, le point essentiel et fondamental de cette œuvre : raconter le chemin intriqué de ces deux vies. Haruki Murakami est un grand romantique et 1Q84 s’en veut la preuve.
La lune est la plus fine observatrice de la Terre. Elle a été le témoin de tous les phénomènes qui sont apparus à sa surface, de tous les événements qui s’y sont produits. Mais la lune reste silencieuse et ne s’explique pas. Elle ne se départ jamais de son indifférence et garde précisément en elle le lourd passé terrestre. Là-bas, il n’y a pas d’air, pas de vent non plus. Le vide permet certainement de conserver les souvenirs intacts. Personne ne peut dégeler le coeur de cette lune-là.
Dans les pas menant Aomamé à Tengo – et vice versa -, Murakami mêle les genres. L’auteur oppose dans ce récit hybride les détails crus d’un quotidien répétitif à la magie de l’imaginaire. C’est ainsi que nous témoignons de scènes exactes et précises jusque dans le nom de variétés de légumes goûtées par le personnage, tout comme nous découvrons la magie tissée dans ce monde trivial par la contemplation de deux lunes suspendues, ou encore, faisons la rencontre d’êtres surnaturels. Truffé de références contemporaines, 1Q84 fait le tour des œuvres adorées de son auteur – musique classique, jazz, littérature, cinématographie… Haruki Murakami nous emporte dans son univers. Il effectue un travail de guide soigné et efficace : il veille à ne pas perdre son·a lecteur·ice, et quand le besoin s’en fait ressentir, il sait revenir à l’essentiel. Artiste chevronné, Murakami fait de l’intrigue et du mystère ses meilleurs alliés. Les pages se tournent et défilent sans difficulté, nos yeux comme aimantés aux lignes écrites. Le tout dans une ambiance hypnotique.
Haruki Murakami adopte une plume sobre et élégante. Il n’y a rien d’opaque, ni de trop difficile – le champ lexical est accessible et s’éloigne de grandes envolées lyriques. L’auteur propose un style traitreusement simpliste, orné de poésie délicate. Il est indéniable que ce roman possède une atmosphère bien à lui, une véritable signature de l’auteur, travaillée avec soin. Le rythme y est lent, contemplatif, à l’image des jours qui défilent. C’est une lecture posée à laquelle nous invite Murakami. Rien ne presse, tout vient à point qui sait attendre, et les rebondissements seront de la partie.
Elle n’avait envie de rien faire. Seulement de regarder le plafond. Il n’y avait là rien d’intéressant, mais elle n’allait pas se plaindre. Les plafonds n’étaient pas faits pour distraire les gens.
Si je porte ce livre dans la fibre de ce qui fait de moi la lectrice d’aujourd’hui, je lui prête cependant quelques défauts. Par souci de transparence, je tiens à les énumérer. Tout d’abord, j’y ai trouvé plusieurs redites désagréables. Bien que j’apprécie le rythme adopté et la volonté de raconter les itérations des vies des personnages, j’aurais aimé un peu plus de confiance de la part de l’auteur à l’encontre de son·a lecteur·ice. Je ne suis pas certaine qu’il soit nécessaire de tant nous répéter certains éléments clefs : à nous de prêter attention au travail achevé. Le deuxième élément négatif, à mon sens, concerne le rapport au corps d’Aomamé. De jeune femme dérangée par sa non correspondance aux diktats de beauté, l’on en vient à s’interroger quant à un fétichisme suintant de la part de l’homme qui écrit envers la menue poitrine de celle-ci. Ce qui, pour ma part, m’a sortie du récit : l’auteur est devenu trop présent. L’une des scènes sexuelles m’interroge aussi. A travers l’histoire, jamais Aomamé n’a porté d’intérêt amoureux ou sensuel envers la gent féminine. Pourtant, l’auteur nous apporte une scène lesbienne. Est-ce pour satisfaire un intérêt de l’auteur et de son public masculin ? Non ? Alors, à quelles fins ? Etrange.
Ce qu’elle savait, c’est qu’elle n’avait pas le choix d’une autre vie. De toute manière, se disait-elle, je ne peux que vivre cette vie. Je ne peux la renvoyer ni la changer pour une nouvelle. Si étrange soit-elle, si tordue soit-elle, cette vie qu’empruntent mes gènes, c’est la mienne.
1Q84 est l’histoire d’une même photographie observée sous différents prismes. C’est un roman à l’écriture poétique et méditative, au rythme doux parcouru de soubresauts d’énergie et aux personnages séduisants de vérité. 1Q84 est une parfaite œuvre pour vous accompagner dans la chaleur pesante de l’été, un appel à tout ralentir et prendre le temps de savourer le chemin tracé de nos vies.
La bise les ami·es,
Bon dimanche.
