Au cœur de l’été, quand la peau est saturée de soleil et les cheveux de la mer, j’ai eu le bonheur de me délecter d’une grande série de fantasy aussi innovante qu’épique. Tandis que la lumière entame son déclin vers les nuits automnales, je viens vous la raconter.
Martha Wells est une autrice américaine née en 1964. Détentrice de nombreux prix tels que les Hugo Awards ou les Nebula, elle est une des grandes figures contemporaines de l’écriture de fantasy et de SF anglo-saxonne. C’est une autrice prolifique, aussi bien versée dans les nouvelles, les tomes uniques que les cycles à plusieurs tomes ; cette année 2023 porte d’ailleurs la sortie de son roman Witch King, ainsi que la réédition et correction de la toute première œuvre de sa carrière, City of Bones.
Enchantée par la découverte de la série Murderbot (publiée en France sous le nom de l’Assasynth par les éditions l’Atalante), il y a un an, j’ai souhaité connaitre de façon plus approfondie le travail de cette autrice. Piochant quelque peu par hasard parmi les nombreuses œuvres de la dame, je suis tombée sur le cycle desLivres des Raksura, et sans le savoir, voilà que je mettais les pieds dans un monde complètement neuf et enivrant.
Les Livres des Raksura débutent là où beaucoup prennent fin : Moon, orphelin abandonné à la naissance, découvre les origines de sa famille et de son espèce après avoir arpenté le monde. Si le mythe du héros seul renouant avec ses origines est un lieu commun de la littérature, Martha Wells s’en amuse et propose une lecture neuve : ce n’est pas le chemin vers un foyer accueillant que nous découvrons, mais les difficultés de Moon quant à son intégration au sein d’une structure établie. En effet, le héros de l’histoire se révèle être un atout dans une sphère familiale en péril. Moon fait autant l’objet de convoitise que de jalousies, et son arrivée rebat les cartes d’une stratégie de survie. Plus encore, Martha Wells dépeint avec justesse et pertinence la force des apprentissages et de toute une vie passée ; Moon ne peut être seulement enthousiaste et zélé à l’idée de s’intégrer. C’est avant tout une personne qui s’est créée et a vécue seule, se transformant et s’adaptant pour trouver sa place dans un monde où il n’appartenait pas. Cela s’accompagne de traumatismes et de mécanismes de défense profondément ancrés. Alors, entre obstacles internes et volonté d’appartenir à celle·ux qui lui ont tant manqué, Moon nous révèle toute la complexité de sa personne.
Ardente d’inventivité, Martha Wells tire le fil de son idée et le tisse dans son intégralité. Ajouté à son remaniement d’un trope récurrent, Wells créé un univers de toute pièce. De la planète aux espèces l’habitant, l’autrice prouve un sens du détail démesuré. Tout est à découvrir, tout est neuf à nos yeux d’humains et terriens. Chaque nouvelle cité visitée est détaillée et explicitée, tout comme les fonctionnements sociaux et culturels des sociétés narrées. C’est un des grands bonheurs à la lecture des Livres des Raksura : le frisson de l’anticipation à l’idée de découvrir ce que Wells nous a encore concocté. Martha Wells fait preuve d’une imagination infinie ; et si cela n’est pas le propre même de la fantasy, alors, je ne saurais quoi vous dire !
La plume de l’autrice s’en ressent dans son traitement. C’est-à-dire que Martha Wells est une autrice descriptive et efficace. Chez elle, pas de figure stylistique soufflée, ni de longues phrases ampoulées. Entre l’odeur chaude du petit pain sur l’étal du boulanger et le paysage de montagne qui s’élève au loin, l’autrice raconte de manière sensitive ; elle utilise nos cinq sens pour montrer. De même, Wells construit sa saga en cinq tomes de façon graduelle. Il est clair dès le premier tome que l’autrice a ordonné son histoire de façon précise. Alors, le rythme y est adapté : les trois premiers tomes sont des installations de l’univers, de la société des Raksura, des enjeux existants et de la personnalité de son héros. Le quatrième tome, quant à lui, signe le déclenchement de la grande et épique aventure que devront affronter les Raksura. Si cela peut paraître long de prime abord, il n’en est rien. Car Martha Wells est un monstre d’efficacité et de sens de l’intrigue ; chaque tome est une aventure en soi, doté de suspens et d’engagement pour nous lecteur. Il est très impressionnant de voir combien l’autrice sait nous emporter durant trois cent pages, et à la fin de celles-ci, éprouver l’apaisement de la résolution apportée, tout en re-signant pour un nouveau tome, sans sourciller ! Je ne serais pas étonnée de la voir intégrer un jour des équipes scénaristiques de cinéma, ou bien de séries, tant Martha Wells a saisi l’essence d’un récit construit avec brio.
Enfin, je souhaite terminer la chronique de cette série de livres concernant leur aspect social et politique. Dans les Livres des Raksura, Wells fait le portrait d’une société matriarcale fonctionnelle et qui ne repose pas sur la domination de genre. C’est un élément rare et précieux dans la littérature fantasy ; il existe d’autres manières de construire les environnements d’un récit que la société patriarcale classique que nous connaissons si bien. Et en l’occurrence, cela fonctionne à merveille ! L’autrice se fait aussi un malin plaisir à nous le notifier par des scènes et dialogues subtiles. Je pense notamment à la rencontre de Moon avec un groupe patriarcal, et son regard très dubitatif face à l’enfermement d’une des jeunes femmes au camp, alors qu’elle est tout à fait capable de tuer ses propres proies. Ou encore, lorsque deux Raksura observent une femme d’une autre société prendre plaisir à faire agenouiller un homme, et s’en faire servir. Tous deux ne savent s’expliquer en quoi cela est problématique (puisque leur propre société repose sur le matriarcat), ne parviennent pas à mettre des mots sur la domination d’un être sur l’autre qu’ils viennent d’observer, et s’ensuit alors une dispute cocasse et charmante. L’autrice s’amuse de bout en bout avec les figures classiques de la fantasy, et ce, pour notre plus grand plaisir.
Les Livres des Raksura est une saga en cinq tomes de fantasy qui n’est malheureusement disponible qu’en anglais – pour le moment, on espère. Alors, si vous êtes familiers de la langue et que vous souhaitez vous délecter d’un bonbon savoureux, je vous en recommande de manière très enthousiaste la lecture.
Bonne rentrée les ami·es,
La bise, et bon dimanche.
